Le harcèlement sexuel est supprimé du code pénal, mais reste bien inscrit dans le code du travail

C’est une question prioritaire de constitutionnalité qui est à l’origine de la décision du conseil constitutionnel conduisant  à abroger le délit de harcèlement sexuel à compter du 4 mai 2012, sous prétexte que le texte de loi est trop flou. C’est la loi du 17 janvier 2002, qui réprimait le  harcèlement sexuel, qui vient d’être jugée contraire à la constitution, car elle ne définit pas précisément les éléments qui constituent le harcèlement sexuel. Des faits qui peuvent être qualifiés de harcèlement sexuel se déroulent fréquemment sur les lieux de travail.  Même si le harcèlement sexuel ne figure plus dans le code pénal, il demeure inscrit sans changement dans le code du travail, interdit dans le cadre du travail et pénalement réprimé. La faute inexcusable de l’employeur peut également être recherchée  lorsqu’un salarié s’estime victime de harcèlement sexuel de la part de son  employeur ou même de la part d’un autre salarié de l’entreprise.

Abrogation de l’article 222-33 du code pénal
Question prioritaire de constitutionnalité
Décision rendue le 4 mai 2012 par le Conseil constitutionnel
Harcèlement sexuel sur les lieux de travail

Abrogation de l’article 222-33 du code pénal

L’article  222-33 du Code pénal a été abrogé :

« Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. »

Question prioritaire de constitutionnalité

Depuis mars 2010 tout citoyen peut  prétendre qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et liberté que la constitution garantit et peut soulever une question prioritaire de constitutionnalité.

C’est ainsi que cette  question prioritaire de constitutionnalité a été posée en mars 2011 par un citoyen ( ancien secrétaire d’Etat au tourisme) condamné pour harcèlement sexuel à une peine d’emprisonnement de 3 mois avec sursis et 5 000€ d’amende :

 » L’article 222-33 du code pénal est-il contraire aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, 34 de la Constitution ainsi qu’aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique, en ce qu’il punit « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir les éléments constitutifs de ce délit ? ; « 

L‘Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail a également souhaité prendre part à cette question prioritaire de constitutionnalité et a participé au débat, afin de faire reconnaître l’inconstitutionnalité de la loi mais avec une abrogation différée ( afin de ne pas laisser de vide juridique) : cette association   juge que cette loi n’est pas assez claire et permet de requalifier injustement de véritables agressions sexuelles en harcèlement sexuel.

Décision rendue le 4 mai 2012 par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 février 2012 par la Cour de cassation, (arrêt n° 1365 du 29 février 2012), d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Gérard D., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 222-33 du code pénal.

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 4 mai 2012 :  la loi du 17 janvier 2002, qui réprimait le  harcèlement sexuel, est jugée contraire à la constitution.
Visionner la vidéo de la séance du 4 mai 2012 au cours de laquelle le Conseil constitutionnel a pris cette décision.

On constate que cette décision a été prise majoritairement par des hommes puisque seules 2 femmes siégeaient à  cette séance du 4 mai 2012 du  Conseil constitutionnel et certains membres qui siégeaient à cette séance auraient du se déporter lors de cette décision compte tenu de leurs relations avec l’auteur de cette question prioritaire de constitutionnalité.

En effet, l’article n° 4 du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité précise que

« Tout membre du Conseil constitutionnel qui estime devoir s’abstenir de siéger en informe le président.
(al.2) Une partie ou son représentant muni à cette fin d’un pouvoir spécial peut demander la récusation d’un membre du Conseil constitutionnel par un écrit spécialement motivé accompagné des pièces propres à la justifier. La demande n’est recevable que si elle est enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel avant la date fixée pour la réception des premières observations.
(al.3) La demande est communiquée au membre du Conseil constitutionnel qui en fait l’objet. Ce dernier fait connaître s’il acquiesce à la récusation. Dans le cas contraire, la demande est examinée sans la participation de celui des membres dont la récusation est demandée.
(al.4) Le seul fait qu’un membre du Conseil constitutionnel a participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation. « 

Au cours d’un colloque consacré au premier bilan de la question prioritaire de constitutionnalité,  le 29 novembre 2010, le secrétaire  général du Conseil constitutionnel  disait qu’aucune demande de récusation n’avait été reçue depuis le début de cette nouvelle procédure de question prioritaire de constitutionnalité, par contre un certain nombre de membres s’étaient spontanément déportés dans divers dossiers et il  donnait l’exemple du déport de M.Debré et M. Charasse dans une histoire d’indemnisation des communes pour les frais  de délivrance des passeports et Cartes nationales d’identité.

Membres qui siégeaient à la séance du 4 mai 2012 du Conseil constitutionnel :

  • Jean-Louis DEBRÉ, Président,
  • Jacques BARROT,
  • Mme Claire BAZY MALAURIE,
  • Guy CANIVET,
  • Michel CHARASSE,
  • Renaud DENOIX de SAINT MARC,
  • Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT,
  • Hubert HAENEL
  • Pierre STEINMETZ.

Pour quelles raisons l’article 222-33 du code pénal est-il contraire à la constitution ?

Le conseil constitutionnel décide que l’article 222-33 du code pénal est contraire à la Constitution parce que le texte est imprécis.

1.Considérant qu’aux termes de l’article 222-33 du code pénal « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende » ;

2. Considérant que, selon le requérant, en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ;

3. Considérant que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

4. Considérant que, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 juillet 1992 susvisée, le harcèlement sexuel, prévu et réprimé par l‘article 222-33 du nouveau code pénal, était défini comme « Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions » ; que l’article 11 de la loi du 17 juin 1998 susvisée a donné une nouvelle définition de ce délit en substituant aux mots « en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes », les mots : « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves » ; que l’article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a de nouveau modifié la définition du délit de harcèlement sexuel en conférant à l’article 222-33 du code pénal la rédaction contestée ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ; qu’ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

6. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ;

Cette décision du Conseil constitutionnel est publiée au JO du 5 mai 2012

Harcèlement sexuel sur les lieux de travail

 Cet abrogation de l’article du code pénal relatif au harcèlement sexuel est sans incidence sur le code du travail : le harcèlement sexuel sur les lieux de travail demeure interdit et réprimé au plan pénal, par l’article L 1155-2 .

Tout employeur doit assurer la prévention du harcèlement sexuel dans son entreprise, le CHSCT peut également proposer des actions de prévention du harcèlement sexuel. Pour les entreprises de plus de 20 salariés, les dispositions relatives au harcèlement sexuel dans les relations de travail doivent figurer dans le règlement intérieur. Tout salarié responsable de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire.

Rappel des articles du code du travail relatifs au harcèlement sexuel

Le harcèlement sexuel figure bien dans le code du travail, dans de nombreux articles.

Article L4612-3
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail contribue à la promotion de la prévention des risques professionnels dans l’établissement et suscite toute initiative qu’il estime utile dans cette perspective. Il peut proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et du harcèlement sexuel. Le refus de l’employeur est motivé.

Article L1153-1
Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits.

Article L1153-3
Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés.

Article L1153-2
Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.

Article L1153-5
L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel.

Article L1153-6
Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire.

Article L1155-2
Modifié par LOI n°2010-769 du 9 juillet 2010 – art. 35
Les faits de harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, sont punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 €.
La juridiction peut également ordonner, à titre de peine complémentaire, l’affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l’amende encourue.

Article L7211-3
Modifié par LOI n°2011-867 du 20 juillet 2011 – art. 16
Sont applicables aux salariés définis à l’article L. 7211-2 les dispositions relatives :
1° Au harcèlement moral prévues aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel prévues aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu’à l’exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l’article L. 1154-2 ;
2° Aux absences pour maladie ou accident, prévues à l’article L. 1226-1 ;
3° Au repos hebdomadaire, prévues par les articles L. 3132-1 et suivants ;
4° Aux jours fériés, prévues par les articles L. 3133-1 et suivants ;
5° Aux congés pour événements familiaux, prévus par les articles L. 3142-1 et suivants ;
6° Au mode de paiement des salaires prévu par les articles L. 3241-1 et suivants ;
7° A la surveillance médicale définie au titre II du livre VI de la quatrième partie.

Article L7221-2
Modifié par LOI n°2011-867 du 20 juillet 2011 – art. 16
Sont seules applicables au salarié défini à l’article L. 7221-1 les dispositions relatives :
1° Au harcèlement moral, prévues aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel, prévues aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu’à l’exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l’article L. 1154-2 ;
2° A la journée du 1er mai, prévues par les articles L. 3133-4 à L. 3133-6 ;
3° Aux congés payés, prévues aux articles L. 3141-1 à L. 3141-31, sous réserve d’adaptation par décret en Conseil d’Etat ;
4° Aux congés pour événements familiaux, prévues par les articles L. 3142-1 et suivants ;
5° A la surveillance médicale définie au titre II du livre VI de la quatrième partie.

Article L1321-2
Le règlement intérieur rappelle :
1° Les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés définis aux articles L. 1332-1 à L. 1332-3 ou par la convention collective applicable ;
2° Les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel prévues par le présent code.

L’abrogation de l’article 222-33 du code pénal a pris effet  dès  la publication de la décision du Conseil constitutionnel ( alors que le Conseil constitutionnel aurait pu décider de différer l’application de sa décision) et s’applique à toutes les affaires non jugées définitivement à ce jour.
Toutes les procédures en cours sont annulées, il demeure donc un vide juridique jusqu’à la prochaine loi dans laquelle le législateur devra davantage préciser la nature de ce délit qu’est le harcèlement sexuel. Une victime de harcèlement sexuel pourra désormais  engager seulement une procédure au civil dans le but d’obtenir des dommages et intérêts, les commissariats  refuseront probablement  d’enregistrer des plaintes de harcèlement sexuel, dans la mesure où les faits ne se sont pas déroulés sur le lieu de travail.
Néanmoins, si le harcèlement sexuel survient sur les lieux de travail, il peut bien toujours être réprimé au plan pénal. De plus, s’il est commis par l’employeur, il  est susceptible depuis toujours de sanction et constitue une faute inexcusable.  Depuis 2010 même le harcèlement sexuel commis par un des salariés de l’entreprise peut entrainer la condamnation de l’employeur au titre de la faute inexcusable puisque l’employeur a une obligation de sécurité de résultat dans la prévention du harcèlement sexuel sur les lieux de travail.
Le Code pénal était effectivement très imprécis dans sa définition du harcèlement sexuel, ( ce qui explique qu’il y a très peu de condamnations pour harcèlement, 59 condamnations   pour harcèlement sexuel en 2009, par exemple ) d’où cette décision du Conseil constitutionnel, mais pourquoi ne pas avoir différé l’abrogation afin d’éviter le vide juridique actuel jusqu’à la publication de la  nouvelle loi qui va  nécessairement rétablir le délit de harcèlement sexuel ? le législateur devra précisément définir ce qui relève du  harcèlement sexuel, afin de ne pas le confondre avec une agression sexuelle, sanctionnée plus sévèrement que le harcèlement sexuel  ou une simple attitude  de séduction, cette dernière n’étant pas condamnable…12% des couples se formeraient sur le lieu de travail…

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