Le suicide : la conséquence de conditions de travail défavorables ?

Un suicide survient en France toutes les 50 minutes, c’est un véritable phénomène de société. Récemment plusieurs suicides sont intervenus sur les lieux de travail. La souffrance au travail peut effectivement  se traduire dans sa phase ultime par le suicide mais tous les suicides intervenus sur les lieux de travail résultent-ils de conditions de travail difficiles ?

Le suicide dans la population générale
Travail et suicide
Conditions de travail, stress professionnel, suicide
Dépister les risques psycho sociaux, évaluer le stress
Aides disponibles
Pathologies à dépister
Projets du Ministère du travail : formation pour les futurs cadre

Le suicide dans la population générale

  • Chaque année, en France, il y a 12 000 décès qui résultent de suicide, et 160 000 tentatives de suicide .
    Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans.
  • Le suicide n’est pas un phénomène nouveau, puisqu’en en 1996, la première Conférence Nationale de Santé avait identifié la prévention du suicide comme l’une des 10 priorités nationales de Santé publique.
  • 80% des personnes qui décèdent par suicide ont rencontré leur médecin dans le mois précédent.
    Lors d’une crise suicidaire, la personne ne veut pas mourir mais arrêter de souffrir.
    Il faut savoir reconnaître une crise suicidaire chez une personne : elle est submergée par les émotions, elle ne parvient plus à trouver de solutions à ses difficultés.

On parle peu du risque de suicide bien plus élevé chez les médecins que dans la population générale , principalement chez les psychiatres, les médecins généralistes et les anesthésistes.

Travail et suicide

Les cas de suicide liés au travail ne sont pas un phénomène nouveau puisque dans les années 1990 des cas de suicides sur les lieux de travail ont commencés à être rapportés par les médecins du travail.

Il n’existe pas de données nationales qui permettent de suivre l’évolution du nombre de suicides sur le lieu de travail et à fortiori liés au travail.
Résultats d’une étude conduite par des médecins du travail
Une étude a été conduite en 2003 en Basse-Normandie par des médecins du travail,
190 médecins du travail ont participé à l’enquête,
107 cas de suicides ou tentatives de suicides considérés comme liés au travail ont été répertoriés.
Etude conduite par des médecins du travail

L’appréciation du rôle du travail comme facteur de suicide s’est révélé difficile à établir, dans un cas sur 2 le salarié avait fait part de ses difficultés au médecin du travail, difficultés d’ordre personnel, ou difficultés liées au travail.
Cette étude a été considérée par ses auteurs comme « une photographie imparfaite d’un paysage encore inexploré ».
Depuis de nombreux mois, les suicides sur les lieux de travail défraient la chronique

Suicides chez Renault
3 salariés se sont suicidés au technocentre de Renault dans les Yvelines, entre octobre 2006 et février 2007.
Cette entreprise avait pourtant  bien mis en place un observatoire du stress depuis quelques années.
Toute action de prévention est vouée à l’échec si l’organisation du travail n’est pas placée au cœur du débat.

Suicides chez PSA Peugeot Citroen
Courant 2008, 5 salariés des usines PSA Peugeot Citroen de Mulhouse se sont suicidés.
Ces évènements ont coïncidé avec la mise en place d’un programme d’efficacité industrielle, au sein de l’entreprise, visant à améliorer la productivité et à modifier l’organisation du travail pour abaisser les coûts de production.
Ces modifications du travail ont entraîné une augmentation du stress ressenti par 79% des ouvriers et 95% des cadres.
Ces nouvelles organisations du travail sont inspirées du toyotisme.

Suicides chez France Télécom
Depuis février 2008, donc depuis 18 mois, il y a eu 23 suicides et une dizaine de tentatives n’ayant pas entraîné la mort parmi les employés de France Télécom.
Cette entreprise compte environ 190 000 salariés et représente un des plus gros employeur en France.
Le taux de suicide dans cette entreprise semble comparable à celui de la population générale.

Toutes ces entreprises subissent de profondes réorganisation auxquelles les salariés semblent avoir beaucoup de difficultés à s’adapter.

Suicides des médecins

Ces suicides sont moins médiatisés que ceux qui surviennent dans les grandes entreprises.

Alors que l’on recense 23 suicides chez France télécom pour 190 000 salariés, dans le même temps surviennent 60 suicides de médecins parmi les 200 000 confrères en exercice.

Les médecins s’estiment victime de harcèlement administratif, puisqu’ils ont à répondre, par exemple, devant l’assurance maladie de la hausse de 6% des arrêts de travail.

En effet, en prise direct avec des salariés en souffrance les médecins n’ont la plupart du temps d’autre solution que d’arrêter les salariés mais ils sont ensuite sanctionnés par les caisses de Sécurité sociale.

L’arrêt de travail c’est la mesure d’urgence qui permet de soustraire un salarié d’une ambiance de travail devenue intolérable.

Conditions de travail, stress professionnel, suicide

Une personne stressée est fragilisée et peut évoluer vers un état dépressif, qui pourra favoriser le passage à l’acte suicidaire.
Un suicide résulte probablement de la conjonction de plusieurs facteurs, néanmoins un suicide qui survient sur le lieu de travail doit alerter l’ensemble de l’entreprise.

« Délitement du tissu social »
Selon Christophe Dejours, titulaire de la chaire de psychanalyse sangté-travail au CNAM :
«le suicide est l’aboutissement d’un processus de délitement du tissu social qui structure le monde du travail».
La multiplication des suicides constitue pour lui un signal d’alarme inquiétant sur la pérennité du système en place

Aujourd’hui, dans le monde du travail, on ne peut plus compter sur les autres, on assiste à une perte de solidarité, la communauté est divisée, désorganisée.

Suicide : de mauvaises réponses à une vraie question »
Selon Philippe Davezies, enseignant chercheur en santé au travail, « il est difficile de faire la part du privé et du professionnel, le drame survient souvent quand des difficultés personnelles viennent s’ajouter à la pression au travail ».
Suicide : de mauvaises réponses à une vraie question

Interview de Philippe Davezies

Stress professionnel, organisation du travail
La vulnérabilité au stress est très variable suivant les personnes.
Elle est le fait d’interactions complexes entre des facteurs psychologiques, neurobiologiques, génétiques et des facteurs liés à l’environnement.

Au plan physique le travail est moins pénible, par contre au plan mental le travail est plus difficile à supporter pour de nombreux salariés.
Or l’organisation du travail a pour cible l’appareil mental d’un individu.

Plusieurs études ont établi un lien entre les contraintes au travail qui génèrent un stress et l’apparition d’une dépression.
La dépression est plus fréquente quand le travail associe une forte exigence psychologique à une faible marge de manoeuvre et un manque de soutien de la part des collègues ou de l’encadrement.

Job strain du modèle de Karasek

Facteurs organisationnels et sociaux qui peuvent générer des contraintes au travail

  • Intensification du travail :
    • pression du temps, exigence en terme de productivité, instabilité de l’emploi, mauvaise santé économique de l’entreprise, concurrence.
    • Evolutions sociologiques :
    • utilisation croissante,des techniques de communication à distance, individualisation de l’activité professionnelle, exigence, agressivité de la clientèle.
  • Organisation du travail :
    • imprécisions des missions, surcharge, sous-charge de travail, horaires de travail incompatibles avec la vie personnelle.
    • Qualité des relations de travail.
    • Manque de communication, manque de soutien de la part des collègues et de la hiérarchie, manque de reconnaissance au travail, management peu participatif.
    • Environnement matériel du poste de travail.

Violence dans le travail
L’évolution de l’organisation et des conditions de travail peut également générer de la violence au travail, les usagers, les clients deviennent agressifs envers les salariés de l’entreprise, qui souffrent alors de cette agressivité.

Suicide et  Stress professionnel

Le stress professionnel apparaît depuis une dizaine d’années comme un nouveau risque auquel les organisations et entreprises doivent faire face.

Définition du stress au niveau européen :
un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face.

Un état de stress n’est pas forcément lié au travail, des éléments de la vie personnelle peuvent être en cause.

Selon une étude conduite par l’INSERM, le stress au travail peut entraîner de l‘anxiété ou une dépression chez des jeunes salariés préalablement en bonne santé.

Les salariés qui subissent une charge de travail excessive et de contraintes de temps extrêmes ont 2 fois plus de risque de souffrir d’un trouble psychiatrique.

Le stress au travail peut donc être à l’origine de troubles psychiatriques.

Dépister les risques psycho sociaux, évaluer le stress

Obligations des employeurs
Tout employeur doit préserver à la fois la santé physique et mentale des salariés, évaluer les risques professionnels au sein de son entreprise, y compris les risques psychosociaux.

La prévention du stress et plus largement des risques psychosociaux doit s’inscrire dans une démarche d’évaluation des risques ( rédaction du document unique) et d’élaboration de plans de prévention.

Depuis novembre 2001, toute entreprise doit avoir établi le document unique pour la prévention des risques

Evaluation collective du bien-être au travail dans une entreprise
Des outils sont disponibles pour évaluer le bien être au travail: par exemple le questionnaire de Robert Karasek.

Il s’agit d’un questionnaire d’évaluation collective du bien être au travail qui permet d’évaluer globalement la santé mentale au sein d’une entreprise.

Le modèle de karasek repose sur la notion d’équilibre entre :

  • la demande psychologique, associée à la réalisation des tâches: leur complexité, leur quantité, les contraintes de temps…)
  • la latitude décisionnelle qui recouvre à la fois l’autonomie dans l’organisation du travail, la participation aux décisions, et l’utilisation de ses compétences: possibilité de développer de nouvelles compétences, d’utiliser ses qualifications.

Questionnaire de Karasek
Site de Robert Karasek

Il est donc possible de demander aux salariés la perception de leurs conditions de travail, leur restituer les résultats , et mettre en place des mesures correctives.

L’accord national sur le stress est rendu obligatoire
Cet accord s’impose désormais à tous les employeurs dans tous les secteurs d’activité professionnel
Accord national sur le stress

Il est nécessaire de s’attaquer aux sources mêmes du stress et non de se contenter d’identifier les personnes en souffrance, par la simple mise en place d’un observatoire par exemple.

Dépistage des risques psychosociaux
Le stress au travail, les violences externes et internes doivent être évalués au sein de chaque entreprise.
Violences interne et externe

Des indicateurs en santé au travail sont disponibles
L‘absentéisme des salariés, par exemple est un excellent indicateur de santé au travail au sein d’une entreprise.
Indicateurs en santé au travail

Aides disponibles

Consultation spontanée du médecin du travail
Sachant que 80% des personnes qui se suicident ont rencontré leur médecin dans le mois qui précède le passage à l’acte, il faut repréciser que toute personne en souffrance avec son travail, ou repérée comme telle par son médecin peut-être adressée au médecin du travail, tout salarié en arrêt ou en activité peut demander à consulter le médecin du travail afin d’exposer ses difficultés.
Les visites durant les arrêts de travail sont des visites de pré reprise.

Consultations spécialisées dans la prise en charge de la souffrance au travail
Il existe des consultations spécialisées dans la prise en charge de la souffrance au travail dans toute la France.

Programme national de prévention du suicide
Programme national de prévention du suicide

Pathologies à dépister

30 à 40 % des patients psychiatriques sont suicidaires.

Les médecins doivent être en mesure de reconnaître une maladie psychiatrique caractérisée à l’origine du stress, le risque de suicide est plus élevé chez les personnes qui présentent une pathologie psychiatrique.

Reconnaître une pathologie psychiatrique.

Certains troubles mentaux peuvent avoir des répercussions sur l’aptitude au travail.

Projets du Ministère du travail : formation pour les futurs cadre

Le réseau francophone de formation en santé au travail Rffst a été lancé la semaine dernière par le ministre du travail : considérant que la santé au travail concerne tous les acteurs de l’entreprise, l’ensemble des cadres, donc les diplômés des grandes écoles d’ingénieurs, de commerce ou des universités recevront une formation à la santé au travail.

La santé au travail est un véritable levier de compétitivité pour les entreprises puisque dans une entreprise où il fait bon vivre et travailler, les salariés sont moins souvent absents, davantage motivés. L‘absentéisme dans une entreprise est un excellent indicateur de santé au travail.

Les tentatives de suicide et les suicides sont un fléau national par leur fréquence et la difficulté d’une stratégie de prévention. Bien qu’un suicide qui survienne sur le lieu de travail ne résulte pas nécessairement de conditions de travail défavorables, il doit alerter sur un phénomène de malaise dans l’entreprise.

Dans les entreprises tous les acteurs doivent se mobiliser pour prévenir les risques psychosociaux, la priorité doit être donnée à l’organisation du travail.

 

Vous pouvez lire également les articles suivants :

Soyez le premier à commenter cet article

Laisser un commentaire