Suicide en lien avec le travail : prévention et postvention en entreprise

Le suicide dans le monde du travail est un sujet d’actualité mais controversé et complexe puisqu’il se trouve entre deux monde : le monde de la santé et le monde du travail. En France le nombre de suicides est évalué à plus de 10 000 par an, dont 400 seraient directement liés au travail. Le nombre de suicides en lien avec le travail semble augmenter mais il demeure difficile à évaluer puisqu’il recouvre à la fois des suicides survenus sur le lieu de travail et des suicides survenus en dehors du lieu de travail mais en lien avec une souffrance au travail. En 2007, le suicide de salariés en entreprise a été fortement médiatisé et a interrogé les entreprises : quelle prévention mettre en place pour éviter que des salariés ne se suicident ? Certaines entreprises se sont focalisées sur le repérage des personnes fragiles pour éviter le passage à l’acte. Cette démarche d’accompagnement des salariés en souffrance psychologique doit nécessairement s’accompagner d’un travail en amont, de la prévention des risques psychosociaux, RPS. En effet, ce n’est pas le travail en tant que tel qui affecte la santé mentale des personnes qui travaillent mais les conditions dans lesquelles elle réalisent leur travail. C’est ainsi qu’une mauvaise organisation du travail, des ordres et consignes contradictoires, etc peuvent conduire certains salariés à des gestes suicidaires. Toutes les entreprises doivent également avoir un projet de postvention parce qu’elles peuvent avoir à vivre un événement grave tel qu’un suicide.

Prévenir le suicide c’est prévenir en amont les RPS : analyse des contraintes psychologiques et organisationnelles
Parlons des facteurs de protection au lieu de parler des facteurs de risque : qualité de vie au travail
Dix propositions pour améliorer la santé psychologique au travail
Recommandations de l’OMS pour la prévention du suicide en milieu professionnel
Prévention du suicide : rôle de l’employeur
Rôle du médecin du travail dans la prévention du suicide
Entretien de santé au travail : interroger les salariés en souffrance, sur leur travail, pour prévenir le geste suicidaire
Postvention dans les entreprises en cas d’évènement traumatique
Exemple de réseau de personnes sentinelles au Québec et en Belgique
Ouverture d’un centre de ressource en suicidologie

Les informations qui figurent dans cet article ont été relevées à l’occasion des journées « Prévenir le suicide dans le monde du travail » organisées par le GEPS, Groupement d’études et de prévention du suicide, qui se sont déroulées les 24 et 25 octobre 2013 à Lyon.

Prévenir le suicide c’est prévenir en amont les RPS : analyse des contraintes psychologiques et organisationnelles

Sous ce terme de risques psychosociaux, RPS, se cache en pratique un ensemble de termes et de concepts parfois très différents. Cette expression renvoie éthymologiquement aux risques psychologiques ( individuel) et sociaux ( la société). Les mots travails, contraintes et prévention sont absents de cette définition…

Il est nécessaire de repréciser en quoi consiste la prévention de ces risques psychosociaux.

La prévention des risques psychosociaux passe par une analyse des contraintes psychologiques et organisationnelles sur le site de travail .

Cette analyse des contraintes psychologiques et organisationnelles peut se faire selon 4 axes bien définis par l’Anact : le salarié se trouve au centre de 4 séries de contraintes psychologiques et organisationnelle au travail qu’il faut analyser :

  • tensions liées à la réalisation du travail
  • tensions liés aux comportements entre acteurs
  • tensions liées aux valeurs et exigences des salariés
  • tensions liées au changement de travail et de son environnement trop récurrent

Actuellement, la prise en charge de ces contraintes psychologiques et organisationnelles se limite malheureusement souvent à une prise en charge clinique individuelle au titre de la souffrance au travail ( les médecins du travail sont sollicités pour écouter les patients mais ne sont pas en position de faire évoluer le management et l’organisation de l’entreprise).

On stigmatise ainsi l’individu, on évite une approche plus organisationnelle qui pourrait remettre en question le mode de fonctionnement managérial. Les entreprises sont encore dans des démarches de recherche d’indicateurs de stress ( observatoire, reporting, cellules d’écoute, etc) n’analysent pas concrètement les conditions de travail qui stressent les salariés.

Pourquoi  parle t-on tant de souffrance au travail en France ?
La souffrance au travail semble plus marquée en France que dans les autres pays européens, les français auraient un rapport très personnalisé au travail, ils en attendraient beaucoup plus que leurs voisins européens ( accomplissement d’eux mêmes, valorisation de leur compétence, etc). Le management est également pointé comme l’un des acteurs de la souffrance au travail.

On peut ainsi résumer les diverses périodes qui ont marqué des changements importants dans le travail.

L’époque des 30 glorieuses : 1950-1978
C’est une période de  plein emploi, il fallait remettre le pays en état, il fallait beaucoup produire. Le progrès allait  assurer à tous un avenir meilleur.
Il y avait une valorisation en dehors du travail ( foot, cinéma, etc).

Puis au cours des années 80-90 le travail devient un outil de valorisation de soi et dans la société : plus d’autonomie est proposée, du sens est donné au travail.

Enfin,  au cours des années 2000, apparaît la mondialisation et ses conséquences, la course à la productivité. Le chômage est devenu un risque pour tous, le progrès technique est alors perçu plus comme une menace qu’ un soutien. C’est la fin de l’augmentation du temps libre. On prend conscience que le progrès technique ne va pas forcément apporter de la qualité de vie au travail…Le syndicalisme n’a pas su quitter son modèle des années 80, n’a pas su sortir de son modèle taylorien…

De très nombreux salariés sont désormais sans repère : on assiste à une perte des valeurs et du sens du travail. Certains managers ne cherchent plus à connaître la réalité du travail du n – 1 (on enseigne au manager de ne pas chercher à savoir ce que fait le n- 1…)
Au cours des entretien d’évaluation, la pression de l’évaluation individuelle  est trop forte, elle est malheureusement  uniquement quantitative…
Le collectif de travail tend à disparaître..

Dans le concept de CPO, contraintes psychologiques et organisationnelles, ce qui est important c’est le vécu de ces contraintes par le salarié.
Contraintes psychologiques et organisationnelles chez les soignants  : de la mesure à la prévention au niveau des unités de soins, par Régis de Gaudemaris

Concept de l’hôpital magnétique : un hôpital magnétique garde son personnel,  hôpital où il fait bon travailler, l’infirmier  devient acteur de sa propre organisation, il y a une bonne collaboration entre médecins et infirmiers, la reconnaissance mutuelle du travail de l’autre, etc
Reconnaissance mutuelle du travail de l’autre

Prévenir le  suicide en rapport avec travail, c’est pouvoir repérer un salarié en détresse (le manager doit être capable de le repérer). Il faut sortir de ce terme de RPS pour aller vraiment sur le terrain et agir. On repousse les actions, alors que la connaissance est acquise. La notion de stress et de travail  fait du brouillage qui empêche de parler de l’organisation du travail

Parlons des facteurs de protection au lieu de parler des facteurs de risque : qualité de vie au travail

Jean-Pierre Brun a livré sa réflexion à l’occasion de ce congrès : si nous parlions de facteurs de protection au lieu de se focaliser sur les facteurs de risque .
D’un côté se trouvent des facteurs de risque : manque de reconnaissance, surcharge, changement fréquent, incivilité, manque d’information, conflit vie professionnelle-vie personnelle, etc
D’un autre côté se trouvent des facteurs de protection : respect, coopération, sens du travail, écoute, convivialité, et

La souffrance d’une personne a toujours une origine plurifactorielle.  Il existe des facteurs prédisposants, des facteurs fragilisants à la fois professionnels et extérieurs au  travail.

Il faut mettre en place des éléments qui protègent les salariés, développer la qualité de vie au travail, éviter que les facteurs professionnels soient un facteur précipitant c’est à dire l’élément qui pousse le salarié a prendre sa décision.

Guide pour une démarche stratégique de prévention des problèmes de santé psychologique au travail, Jean-Pierre Brun, Université de Laval, Québec

Ce sont les actions et non les mots qui vont améliorer la santé psychologique des individus au travail.

Au sein d’une entreprise, on peut observer des signaux forts de souffrance, tels que  l’ absentéisme, la maladie, les conflits, des suicides etc, mais en amont il y a des signaux faibles : souffrance, manque de reconnaissances, présentéisme, démotivation, isolement, tensions, stress, fatigue, etc

Pour être dans la prévention primaire il faut développer notre vigilance  vis a vis de ces signaux faibles.

On ne peut pas ignorer la réalité et nier l’économie mondiale, les menaces sur emploi, etc  Un manager ne peut pas éliminer tous les facteurs de risque , les contraintes corporate qui ont souvent fortes, etc mais il peut instaurer des facteurs de protection tels que dialogue, présence et proximité, soutien, management de la charge de travail, accompagnement, reconnaissance, etc

Quand l’idéation suicidaire est présente, le mal est fait mais il est toujours possible d’injecter très rapidement des facteurs de protections, leurs effets se font sentir à court terme.

Pour contre balancer les facteurs de risque on peut injecter des facteurs de protection  dans le monde du travail afin de réduire l’impact des facteurs de risque

Les grandes catégories de facteurs de risque  et les facteurs de protection correspondants

Intensité et temps de travail : la protection face à ce facteur de risque consiste à discuter et négocier la charge de travail, renforcer des points individuels avec les collaborateurs en période de surcharge de travail (alors que souvent plus il y a de travail moins il y a de réunion d’équipe), être vigilant sur les heures tardives de travail, respecter la vie personnelle, limiter les sollicitations hors travail, etc

Exigences émotionnelles
Protection pour ce facteur de risque : il faut se donner des moments d’échanges, de dialogue,  permettre l’expression des émotions, se soutenir et partager lors de situations de tension; Il faut savoir tolérer l’erreur et rassurer vis-à-vis de l’échec. Se référer à une structure d’écoute telle que le médecin, etc

Autonomie
Facteurs de protection qui peuvent être mis en oeuvre face à ce facteur de risque : disposer de marges de manœuvre, anticiper la charge et gérer les imprévus, pouvoir utiliser et développer ses compétences, participer aux décisions ( souvent on participe aux décisions prises !!! ), etc

Rapports sociaux au travail
Facteurs de protection à mettre en oeuvre : avoir le soutien du manager et des collègues en cas de problèmes, avoir un sentiment d’appartenance à l’équipe, favoriser les rencontres avec le manager ( les équipes veulent voir leur manager ), avoir la reconnaissance et des feedbacks réguliers sur le travail fourni, être consulté lors de changements dans le travail, travailler dans un environnement respectueux, réduire les conflits, donner de la perspective sur la carrière, etc

Conflits de valeurs
Facteurs de protection :  disposer des moyens nécessaires pour faire un travail de qualité, donner un sens au travail, etc

Insécurité d’emploi
Facteurs de protection : bonne communication dans l’entreprise, avoir une vision sur son plan de carrière, être accompagne dans les changements, etc

Il est donc important de détecter les signaux faibles, de jouer sur les facteurs de protection. Cela ne doit pas empêcher d’agir également sur les facteurs de risque.

Dix propositions pour améliorer la santé psychologique au travail

Henri Lachmann, a remis un rapport en 2010 dans lequel il formule les10 propositions suivantes pour améliorer la santé psychologique au travail, pour développer davantage de bien-être et d’efficacité au travail en prenant davantage en compte les sujets de santé au sein de l’entreprise.

1-L’implication de la direction générale et de son conseil d’administration est indispensable :
l’évaluation de la performance doit intégrer le facteur humain et donc la santé des salariés.

2-La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise pas :
les managers de proximité sont les premiers acteurs de santé. Chaque salarié doit pouvoir identifier clairement son supérieur hiérarchique, sinon il n’est pas en mesure de dire quelle est sa place dans l’entreprise. Le manager de proximité ne doit pas être une simple courroie de transmission mais il doit disposer de marges d’adaptation et de décision pour optimiser la cohésion et l’efficacité de son équipe.

3-Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail :
restaurer des espaces de discussion sur les pratiques professionnelles et systématiser les marges d’autonomie dans l’organisation du travail y compris dans les métiers les plus répétitifs et les plus contraints ( ne pas imposer des horaires inadaptés aux contraintes personnelles par exemple), systématiser les possibilités de recours au n+2 et à un responsable de ressources humaines de proximité en cas de relations difficiles avec le n+1.

4Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé :
le dialogue social, dans l’entreprise et en dehors est une priorité.

5-La mesure induit les comportements :
mesurer les conditions de santé et sécurité au travail est une condition du développement du bien-être en entreprise : élaborer un diagnostic, l’entreprise doit choisir des outils adaptés à sa situation, s’approprier la démarche, puis décliner un plan d’action. Il faut ensuite utiliser régulièrement les outils. Pour les petites et moyennes entreprises, il est préférable d’utiliser des fiches pratiques  » clefs en main « .

6Préparer et former les managers au rôle de manager :
affirmer et concrétiser la responsabilité du manager vis-à-vis des équipes et des hommes. La formation au management proposée dans les écoles et universités n’est pas une formation à la conduite des équipes. Les entreprises doivent donc investir dans des programmes de formation à la responsabilité sociale et au management d’équipes. Les process et les outils de management ne suffisent pas. Toute promotion d’un salarié à un poste de manager devrait s’accompagner d’une formation.

7-Ne pas réduire le collectif de travail à une addition d’individus :
valoriser la performance collective pour rendre les organisations du travail plus motivantes et plus efficientes.

8-Anticiper et prendre en compte l’impact humain des changements :
tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l’impact et la faisabilité humaine du changement :
c’est à dire analyser les conséquences humaines du changement y compris les risques psychosociaux et les besoins de compétences en associant les partenaires sociaux et le management de proximité. Enrichir d’un volet « santé  » les différentes étapes du dialogue social dans la mise en oeuvre des restructurations.

9-La santé au travail ne se limite pas aux frontières de l’entreprise :
l’entreprise a un impact humain sur son environnement et en particulier sur ses fournisseurs. Elle ne doit pas transférer les risques psychosociaux sur ses fournisseurs ( mise en place de charte pour exiger des fournisseurs qu’ils respectent divers critères en droit du travail, santé, sécurité, etc)

10 -Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes :
accompagner les salariés en difficulté.

Rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail, de Lachmann, Larose, Penicaud, 2010

Recommandations de l’OMS pour la prévention du suicide en milieu professionnel

En 2006, l’OMS a publié dans la série « Prévention du suicide : indications pour diverses catégories professionnelles » une brochure n° 8 concernant le monde du travail. Contrairement aux 7 brochures précédentes cette brochure n’a pas été traduite en français.

Ce document, destiné à tous, est dédié à la prévention du suicide au travail dans une perspective de santé publique pour promouvoir la santé mentale en milieu professionnel.

Cette brochure aborde différents thèmes ( que peut faire un employé ou un employeur face à un travailleur suicidaire, comment promouvoir une bonne santé mentale au sein de l’entreprise, etc) et propose des recommandations.
Le suicide au travail est le résultat d’une interaction complexe entre les vulnérabilités individuelles (problèmes de santé mentale, etc) et des conditions de travail stressantes, etc
La prévention du suicide au travail s’effectue au mieux par une combinaison ou au travers de :

  • un changement dans l’organisation du travail afin de prévenir et réduire le stress au travail,
  • la déstigmatisation des problèmes de santé mentale connus et la recherche d’assistance psychologique,
  • la reconnaissance et le dépistage de toutes difficultés de santé mentale et de souffrance émotionnelle,
  • l’intervention appropriée et la prise en charge de programmes d’assistance disponibles en liaison avec les ressources extérieures de la communauté.

L’objectif principal est de créer un environnement qui respecte l’individu et maintienne l’intégrité de la personne qui travaille. Selon leur niveau d’activité, les entreprises peuvent s’organiser en créant un groupe de travail autour des questions de santé mentale incluant la prévention du suicide.

Pour mémoire , le BIT, Bureau international du travail a créé le programme SOLVE pour contribuer à l’élaboration de politiques de recommandations pour intégrer la promotion de la santé dans les politiques de sécurité et santé au travail

Prévention du suicide : rôle de l’employeur

Le bonheur du salarié ne relève pas de la responsabilité de l’entreprise mais les conditions d’exercice du travail sont de la responsabilité de l’employeur. L’employeur n’est pas responsable des fragilités individuelles d’un collaborateur mais il l’est des conditions de réalisation du travail qu’il lui offre.

Un employeur n’a pas à se préoccuper des facteurs personnels sur lesquels il n’a pas prise, il doit se concentrer sur les facteurs sur lesquels il a prise et qui peuvent participer au mal-être professionnel : relations de travail et organisation du travail.
Il doit donc être dans une démarche proactive afin de prévenir les risques psychosociaux dans son entreprise : la charge de travail est-elle bien répartie ? Les relations professionnelles sont-elles saines ou dégradées ? Existe t-il une rupture du collectif de travail qui conduit à l’isolement, etc
Il doit également prendre des mesures de prévention pour réduire l’accès aux moyens létaux ( qui permettront au salarié de passer à l’acte).

Il doit s’assurer que l’entreprise pourra assurer la prise en charge et l’accompagnement d’un salarié en souffrance.
La responsabilité civile et pénale de l’employeur peut être engagée dans le cas d’un suicide en lien avec le travail. Les magistrats considèrent désormais qu’il incombe à l’employeur de mettre en place des moyens performants pour prévenir la souffrance au travail, d’analyser les facteurs de risques susceptibles de provoquer du stress à ses salariés et de vérifier l’origine de cette souffrance afin d’apporter toutes les mesures correctives nécessaires si cette origine s’avère professionnelle. L’employeur doit donc assumer la lourde mission de contrôler le « bien être mental «  de ses salariés et faire preuve d’une réactivité suffisante en cas de dégradation avérée de cet état de santé mentale.

Certaines entreprises instaurent des formations d’accompagnants et d’écoutants pour l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise pour que chacun d’eux soit en mesure de repérer un collègue en souffrance afin de ne pas le laisser souffrir seul parce qu’il pourrait  prendre la décision de se suicider.

Rôle du médecin du travail dans la prévention du suicide

 Mission : éviter toute altération de la santé du fait du travail

Les missions des 6000 médecins du travail qui exercent en France, et des services de santé au sein desquels ils travaillent  sont définis par la loi : ils ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail. Les médecins du travail surveillent la santé et l’aptitude au travail des salariés lors des examens médicaux et conseillent les employeurs et les salariés, entre autre au sein des CHSCT,  pour qu’ils évitent les risques professionnels , améliorent les conditions de travail, préviennent les addictions ainsi que le harcèlement moral et sexuel, et la pénibilité.
La réforme de la médecine du travail 2011 a mis en place une nouvelle organisation de la santé au travail, le médecin du travail anime et coordonne désormais une équipe pluridisciplinaire de santé au travail, il y a donc une mise en synergie des compétences pour améliorer le service aux entreprises.
C’est le ministère du travail qui est l’autorité de tutelle des médecins du travail et non le Ministère de la santé.

Prévenir un suicide, s’il est en lien avec les conditions de travail, est une tâche difficile pour le médecin du travail sachant qu’il assure parfois le suivi d’un très grand nombre d’entreprises : en effet le nombre de médecins du travail ne cesse de diminuer.

Contribuer à l’évaluation des risques pour la santé psychique

Le médecin se base sur les données recueillies lors des entretiens avec les salariés, sur l’observation des conditions et des organisations de travail et sur des indicateurs ( qui existent ou dont il peut proposer la création) : en effet, les consultations  auprès du médecin mais également les entretiens de santé infirmier sont l’occasion de parler du travail et peuvent faire apparaître les problèmes d’organisation au sein de l’entreprise; Le médecin du travail peut ainsi contribuer à l’évaluation des risques pour la santé psychique auxquels sont exposés les salariés dans l’entreprise. En effet l’évaluation des risques est la première étape pour installer une démarche de prévention.

Prévenir le suicide c’est prévenir en amont les risques psychosociaux : il n’y a pas de recommandations de bonne pratique. Le médecin du travail doit user de sa capacité de conseiller pour faire évoluer l’organisation et les pratiques managériales au sein de l’entreprise en proposant par exemple un plan de prévention dédié aux risques psychosociaux.

Le médecin du travail peut rappeler aux entreprises, qu’il est temps de passer à l’action pour la prévention des RPS.

Depuis la réforme de la santé au travail de 2011, le médecin du travail a désormais un devoir d’alerte  : il a le devoir d’écrire à l’employeur s’il constate un risque particulier pour la santé au sein de l’entreprise, par exemple un risque pour la santé mentale et l’employeur a pour obligation lui répondre.

Mettre en place un dispositif de veille et d’alerte

Le médecin du travail doit mettre en place en collaboration avec des partenaires internes de l’entreprise des dispositifs de veille et d’alerte pour qu’une intervention ciblée sur un individu ou un collectif soit réalisé à temps : par exemple un suivi médical rapproché doit être mis en place pour une personne à risque de passer à l’acte ou de récidive.

En cas de survenue d’un suicide

En cas de survenue d’un suicide, il faut susciter une communication pro active, prévenir les effets délétères auprès de l’entourage professionnel. Il faut envisager la postvention au sein des entreprises avant qu’un suicide ne survienne.

Propos du Pr Jean-Francois Caillard

 »  Le médecin du travail doit confronter sa propre pratique d’action et de compréhension des risques d’atteinte à la santé psychique avec ses confrères, élevant ainsi son niveau de compétence face à ce sujet d’une grande complexité « 

Entretien de santé au travail : interroger les salariés en souffrance, sur leur travail, pour prévenir le geste suicidaire

Le Dr Géhin médecin de santé au travail et le Dr Raoult-Monestel, Médecin inspecteur régional du travail, ont  présenté une communication intitulée  » Des dessous de l’entretien en santé au travail à la prévention du geste suicidaire « .

En France, le travail est un élément majeur de l’équilibre psychique puisqu’il représente en moyenne 60% de l’équilibre  psychique total d’un individu.

Le travail a donc des effets constructeurs mais également des effets destructeurs en cas de difficultés rencontrées dans le cadre du travail , qui peuvent aller jusqu’au geste suicidaire;
Une enquête a été conduite en 2011 aux urgences psychiatriques du CHU de Caen pour tenter de mieux comprendre les liens entre geste suicidaire et travail :

  • pour 2 patients sur 3, il existait un rapport entre le geste suicidaire et le travail,
  • pour 2 patients sur 5, le travail était l’élément principal expliquant le geste,
  • et pour 1 patient sur 5 le geste était lié en totalité à la situation de travail.

Pour prévenir le geste suicidaire, il est indispensable d’interroger les salariés en souffrance sur leur travail.

L’entretien général en santé au travail est différent d’un entretien médical traditionnel : il  comporte un registre propre et une technique adaptée pour analyser le travail et le lien entre le travail et les atteintes à la santé.

4 thématiques sont abordées durant l’entretien en santé au travail

Organisation du travail et conditions de travail
Que fait réellement le travailleur, avec qui et comment fait-il son travail ?
C’est le travail réel qui est décrit et non le travail prescrit.
Travailler c’est combler l’écart entre le prescrit et le réel comme le dit Christophe Dejours
Cet écart entre prescrit et réel est fondamental : en effet il peut être source de souffrance s’il ne peut pas être comblé car il empêche la réalisation d’un bon travail.

Existe t-il collectif de travail
Le collectif de travail est structurant, il permet au salarié de construire des règles de métiers avec les autres.
Si ce collectif est absent, le salarié se retrouve  seul face à ses difficultés, il  se juge incompétent, perd confiance en lui, etc

Les relations hiérarchiques
Ces relations sont favorables si elles prennent en compte l’avis des salariés sur les conditions de travail.

Attentes du salarié au travail
Quel est le sens de son engagement dans le travail ?
Quel retour obtient-il dans le cadre de son travail ?
Est-ce que le travail lui apporte la reconnaissance nécessaire à son épanouissement ?

Cet interrogatoire permet aussi d’interroger le salarié sur son entourage familial et amical
A t-il des appuis à l’extérieur de l’entreprise ? Des activités extérieures au travail lui permettent-elles  de conserver un équilibre même si les conditions de travail sont difficiles ?
A t- il déjà eu idées suicidaires ? Des personnes se sont-elles suicidées dans sa famille ?

L’interrogatoire explore les champs du travail, il est centré sur le vécu subjectif du salarié et  permet d’évaluer la part du travail dans la décompensation : le  travail est-il protecteur ou au contraire source de souffrance ?

La reconstruction s’effectue sur 2 échelles temporelles : la vie au travail d’une part et la santé d’autre part.
Ainsi on reconstruit dans  le temps les différents évènements que le salarié a vécu dans son travail ( depuis son entrée dans l’entreprise) et les atteintes à sa santé.

Chez une personne en souffrance il faut permettre au salarié de reconstruire dans le temps les différents évènements qu’il a pu vivre au travail en les reliant à son ressenti et à la dégradation de sa santé. La reconstruction de cette trajectoire de vie au travail va permettre au salarié de comprendre sa situation ( le lien de sa pathologie avec le travail), de modifier son état psychique et de retrouver le pouvoir d’agir sur sa situation, c’est la seule issue qui permet d’améliorer son état de santé.

La clinique médicale du travail permet de passer d’une situation individuelle à des problèmes collectifs d’organisation et aux relations de travail. L’analyse de la situation individuelle permet de développer une dimension de prévention collective.

Modifier la trajectoire du geste suicidaire c’est toujours interroger le vécu de travail.

Postvention dans les entreprises en cas d’évènement traumatique

La postvention se situe à l’opposé de la prévention : elle débute tout de suite après tout événement traumatique grave, un suicide par exemple, qu’il survienne ou non dans l’entreprise.

La postvention permet de décliner les actions mises en place après l’évènement traumatique, elle a pour objectif d’éviter les conséquences psychologiques et le traumatisme affectif qui surviennent généralement chez les personnes impliquées et l’entourage.

En cas de survenue d’un évènement traumatique grave au sein de l’entreprise, il faut constituer une équipe de crise ( qui se compose de membres de la direction, médecin du travail etc) qui évalue la situation. Cette équipe recueille des informations factuelles, précises et objectives à propos de l’événement traumatique.
Tout le personnel de l’entreprise doit aussitôt être informé de cet événement grave : l’évènement doit être annoncé par les chefs de service aux salariés,  par oral, en groupe concentrique ( mieux vaut éviter le mail pour cette annonce).
L’information doit être factuelle et claire.
L’annonce aux médias doit être très factuelle et succinte.

La police ainsi que la Sécurité sociale doivent être contactées : chacune conduira sa propre enquête.

L’appui psychologique doit être déployé pour éviter la souffrance des collègues de travail.
Les salaries parlent , on libère les expressions : c’est la ventilation
Puis les psychologues rencontrent  les salariés et c’est le débriefing collectif puis individuel pour les salariés qui le souhaitent.

L’entreprise doit organiser un  CHSCT extraordinaire pour informer et exposer les actions entreprises :

il faut préciser qu’une enquête sera faite en interne ( en plus de l’enquête de police et de l’enquête de Sécurité sociale), à la recherche d’un lien éventuel entre le travail et le suicide ,  de facteurs de risques qui auraient pu exister dans l’activité et qui auraient aggravé le risque suicidaire.

Dans tous les cas la direction de l’entreprise doit rencontrer la famille, même lorsque le suicide  est survenu en dehors du lieu de travail. Cette visite permettra de ressentir le vécu de la famille face à cet événement. La direction proposera son aide à la famille, expliquera que les collègues voudraient assister aux obsèques, etc

Toutes les entreprises doivent avoir un projet de postvention parce qu’elles peuvent avoir à vivre un événement grave. L’ensemble des salariés doit être formé, il faut faire des ateliers, rédiger des notes pour pouvoir agir en cas de suicide ou autre événement traumatique grave.

Des guides sont disponibles pour aider les entreprises à conduire un projet de postvention :

Exemple de réseau de personnes sentinelles au Québec et en Belgique

Cette initiative de création de réseau de personnes sentinelles a débuté au Québec en 2003. La Belgique a également décliné récemment ce programme : il s’agit de développer au sein d’une école, d’une université, ou d’une entreprise, un réseau de personnes « sentinelles » qui sont formées au repérage et à l’abord des personnes en difficultés, qui présentent des signes de détresse.
Une sentinelle ne joue jamais le rôle du professionnel de la santé, elle ne prend jamais seule la responsabilité d’une intervention. Son métier ne consiste pas à venir en aide aux autres mais par son appartenance à un milieu, sa position ou ses capacités naturelles, elle est à même de jouer un rôle positif en  établissant un contact avec la personne en détresse et en assurant le lien entre la personne suicidaire et les ressources d’aide dans le domaine du suicide.
Le Québec a un réseau de 2 000 personnes sentinelles : toute personne qui souhaite participer au réseau en tant que  sentinelle bénéficie de 2 jours de formation afin de connaître les ressources existantes pour prévenir le suicide.
Devenir sentinelle : sur le site de l’association québecoise de prévention du suicide

Ouverture d’un centre de ressources en suicidologie

Le CRES, centre de ressources en suicidologie va ouvrir ses portes à Paris  11ème ( 6 rue Asile Popincourt) : à la fois bibliothèque et centre documentaire le CRES sera ouvert à tous les publics. Le CRES contribue au développement de la suicidologie en France : il a pour objectif de prévenir le suicide et réduire ses impacts négatifs en encourageant l’avancement et l’utilisation de connaissances et de pratiques interdisciplinaires sur le sujet.

Selon les études scientifiques, avoir un travail est un facteur qui diminue le risque de suicide : les taux les plus élevés de suicide sont effectivement observés chez les personnes sans emploi.  Mais depuis plusieurs années, le lien entre suicide et travail se construit par l’intermédiaire des risques psychosociaux.
Prévenir le suicide en rapport avec le travail c’est en amont prévenir les risques psychosociaux et être capable de repérer un salarié en détresse. On constate aujourd’hui que la prévention des risques psychosociaux piétine beaucoup au sein des entreprises : certaines entreprises  limitent leur démarche de prévention des RPS au suivi d’indicateurs dans des tableaux de bord mais ne se préoccupent pas des individus, ne remettent pas en cause l’organisation du travail…Toutes les entreprises doivent également anticiper la survenue éventuelle d’un événement traumatique grave et avoir un projet de postvention afin de ne pas se retrouver démunies en cas de survenue d’un suicide.
Les médecins du travail, les psychiatres, les psychologues doivent travailler en réseau pour améliorer la prise en charge des personnes en souffrance.

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