Reconnaissance en maladie professionnelle d’un cancer de l’ovaire résultant d’une exposition à l’amiante

Pour la première fois en France, un cancer de l’ovaire va être reconnu au titre des maladies professionnelles chez une salariée de l’usine Deville de Charleville-Mézières qui a découpé de 1966 à 1980 des joints à base d’ amiante qui garnissaient des chaudières. Le diagnostic de cancer de l’ovaire a été porté en 2008. Etant donné qu’il n’existe pas de tableau de maladie professionnelle pour faire reconnaître cette maladie (bien que le CIRC reconnaisse que l’amiante peut provoquer un cancer de l’ovaire),un CRRMP a été saisi en 2010 mais il a rendu un avis négatif. Cet avis a été contesté et un autre CRRMP vient de rendre son avis qui est positif : le cancer de l’ovaire chez cette salariée, décédée en 2012,va donc être reconnu au titre des maladies professionnelles. Mais quelles sont les enjeux de la reconnaissance d’une pathologie au titre des maladies professionnelles ?

Exposition à l’amiante et cancer de l’ ovaire
Tableau de maladie professionnelle pour le cancer de l’ovaire résultant d’une exposition à l’amiante
Reconnaissance au titre des maladies professionnelles d’une pathologie qui ne figure pas dans un tableau : procédure
Quels sont les enjeux de la reconnaissance d’une pathologie au titre des maladies professionnelles ? 

L’association Andeva, Association nationale de défense des victimes de l’amiante,  a accompagné la salariée puis sa famille pour parvenir à  faire reconnaître au titre des maladies professionnelles le cancer de l’ovaire chez cette salariée exposée pendant une quinzaine d’années à l’amiante.

Exposition à l’amiante et cancer de l’ ovaire

Le Centre international de recherche contre le cancer reconnaît depuis 2009 qu’il existe des preuves suffisantes entre exposition à l’amiante et le cancer de l’ovaire
Extrait de la monographie du CIRC

« There is sufficient evidence in humans for the carcinogenicity of all forms of asbestos ( chrysotile, crocidolite, amosite, tremolite, actinolite and anthophyllite). Asbestos causes mesothelioma and cancer of the lung, larynx and ovary. « 

Tableau de maladie professionnelle pour le cancer de l’ovaire résultant d’une exposition à l’amiante

Pour qu’une maladie soit reconnue au titre des maladies professionnelles, elle doit figurer dans un tableau de maladie professionnelle.

De nombreux experts estiment que des tableaux de maladies professionnelles devraient être modifiés ou créés.

Il y a 3 ans, la Commission Diricq pointait les insuffisances des tableaux de maladies professionnelles et proposait notamment qu’un tableau de maladie professionnelle soit crée pour indemniser le cancer de l’ovaire lié à une exposition professionnelle à l’amiante.

Extrait du rapport 2011 de la Commission Diricq
Création ou révision de tableaux qui  pourraient être envisagées

« Le cancer des ovaires et du larynx causé par l’exposition à l’amiante : le Centre international de recherche pour le cancer (CIRC) a reconnu à l’occasion d’une réunion  d’experts internationaux le 24 mars 2009 qu’il existe des preuves suffisantes au regard des données scientifiques disponibles du lien entre l’exposition aux fibres d’amiante et les cancers  du larynx et des ovaires. Le cancer du larynx est par ailleurs mentionné dans l’annexe II de la recommandation R.2003/670/CEE. L’introduction de ces deux cancers dans les tableaux relatifs aux affections causées par l’exposition à l’amiante a été discutée lors de la définition du programme de travail de 2011 de la CPP. Cependant, avant d’envisager une telle évolution, il est apparu nécessaire d’attendre la publication de la monographie correspondante (volume 100 du CIRC);

Reconnaissance au titre des maladies professionnelles d’une pathologie qui ne figure pas dans un tableau : procédure

Une pathologie, même si elle ne figure pas dans un tableau de maladie professionnelle peut être reconnue au titre des maladies professionnelles s’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne une IPP, Incapacité permanente partielle  d’au moins 25% ou le décès de la victime, comme le prévoir l’article  L. 461-1 du code de la Sécurité sociale
Dans ce cas, la caisse primaire d’assurance maladie reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis d’un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, CRRMP.

L’avis rendu par le CRRMP doit être motivé et il s’impose à la caisse.

 Si le CRRMP rend un avis négatif, il est possible de le contester : dans le cas de cette salariée qui a présenté un cancer de l’ovaire alors qu’elle avait été exposée 20 ans auparavant à l’amiante, le CRRMP de Nancy a rendu un avis négatif en juillet 2010,

La contestation se déroule devant  la CRA, Commission de recours amiable (qui confirme le plus souvent l’avis initial), puis en saisissant le TASS, Tribunal des affaires de Sécurité sociale qui selon l’article R 142-24-2  va solliciter un autre CRRMP d’une des régions les plus proches. Dans le cas présenté c’est le CRRMP de Lille qui a du statuer et qui vient de rendre un avis positif, puisqu’il considère que l’exposition à l’amiante est certaine.

L’avis du CRRMP s’impose à la Sécurité sociale, le cancer de l’ovaire va donc être reconnu au titre des maladies professionnelles.

On peut s’étonner des délais puisque  3 ans se sont écoulés entre les 2 avis des  CRRMP : il  faut rappeler que les CRRMP ont rendu des décisions irrégulières pendant presqu’un an parce que les médecins inspecteurs du travail refusaient de siéger dans ces instances.  Cette grève des médecins inspecteurs du travail a pris fin en octobre 2013.
Fin d’une année de grève des médecins inspecteurs du travail dans les CRRMP

Quels sont les enjeux de la reconnaissance d’une pathologie au titre des maladies professionnelles ?

Charles Huet, président de l’ association Andeva 08 s’est exprimé dans le journal Le Monde  à propos de la reconnaissance d’une pathologie professionnelle. Nous souhaitons compléter et commenter son propos

« Etre reconnu comme maladie professionnelle ouvre des droits sociaux importants. Un cancer pris à 100 % dans le régime général de la Sécurité sociale coûte quand même très cher à la victime, pour les petits soins qu’on appelle de confort mais qui permettent de survivre un peu plus longtemps . On voit bien qu’entre quelqu’un qui a un cancer qui n’est pas reconnu en maladie professionnelle et quelqu’un qui l’est déjà, il y a une durée de vie tout à fait différente. « 

Effectivement la prise en charge des soins et les indemnités journalières sont plus favorables à l’assuré en maladie professionnelle qu’en maladie ordinaire.
Même si les soins sont habituellement pris en charge à 100% pour un cancer, même s’il n’est pas reconnu en maladie professionnelle car il est pris en charge au titre d’une  affection de longue durée

Le forfait hospitalier par exemple reste à la charge du patient dans le cas d’une affection de longue durée alors que le patient n’a pas à le régler si la pathologie est reconnue au titre des maladies professionnelles.

Il n’y a pas de jour de carence durant l’arrêt maladie dans le cadre d’une maladie professionnelle et l’arrêt maladie peut dépasser la durée de 3 ans contrairement à la maladie ordinaire.

Un autre intérêt de la reconnaissance du cancer au titre de la maladie professionnelle , c’est l‘indemnisation des séquelles éventuelles grâce au taux d’IPP accordé par le médecin conseil.
Si le taux de l’IPP est supérieur à 10%, la victime perçoit une rente trimestrielle.

Si la maladie professionnelle entraîne le décès de la victime,  les proches (conjoint, concubin, partenaire pacsé, enfants, etc.) peuvent bénéficier d’une aide financière qui prend la forme d’une rente.

Les rentes d’ayant droit sont versées chaque trimestre .

A noter qu’il est parfois préférable de ne pas faire de demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une pathologie : en effet, lorsqu’il résulte de la maladie professionnelle une incapacité de travailler , mieux vaut être en maladie ordinaire afin de pouvoir bénéficier d’une pension d’invalidité. Une pension d’invalidité complété par le versement d’une prévoyance avoisine le montant d’un salaire, alors que dans le cas d’une maladie professionnelle, la victime perçoit seulement une rente d’IPP qui ne permet pas de subvenir aux besoins, contrairement à une pension d’invalidité.

Ce point est un frein à la reconnaissance des pathologies au titre des maladies professionnelles.

Contrairement à ce que prétend Charles Huet, aucune étude ne prouve actuellement que la survie est différente entre un cancer reconnu en maladie professionnelle et un cancer qui ne l’est pas…

Ce cancer de l’ovaire lié à l’amiante va être reconnu au titre des maladies professionnelles, c’est une première en France. Cette reconnaissance, obtenue à l’issue d’une procédure extrêmement longue et complexe, résulte du combat de la victime et de sa famille grâce au soutien d’une association de défense des victimes. Il faudra encore attendre de nombreuses années pour que le tableau de maladie professionnelle qui indemnise le cancer de l’ovaire lié à une exposition à l’amiante soit crée. En effet c’est l’administration et la CPP, Commission spécialisée des pathologies professionnelles (formation du COCT, Conseil d’Orientation sur les conditions de travail) qui sont chargés de la création des nouveaux tableaux de maladies professionnelles. Chaque projet de création ou de révision de tableau donne lieu à la création d’un groupe de travail spécifique, comme le prévoit le code du travail à l’article D. 4641-10. A l’issue des travaux, le projet de décret qui révise ou crée un tableau est présenté à diverses instances qui doivent rendre un avis :  la CPP,  la commission générale du COCT et à la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Par ailleurs compte tenu de la relation établi entre exposition entre amiante et cancer de l’ovaire, il faudrait faire évoluer la surveillance post-professionnelle afin de dépister précocément  le cancer de l’ovaire chez les femmes qui ont été exposées à l’amiante  : malheureusement, en  dehors de la minorité de patients présentant un risque familial, actuellement il n’existe pas de méthode de dépistage du cancer de l’ovaire.

Tableaux des maladies professionnelles associés :

  Tableau n°30 RG : Affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante (13,4 KiB, 48 576 hits)

  Tableau n°30 Bis RG : Cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante (8,4 KiB, 22 152 hits)

  Tableau n°47 RA : Affections consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante (36,7 KiB, 8 811 hits)

  Tableau n°47 Bis RA : Cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante (34,2 KiB, 7 006 hits)

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