Un patient schizophrène dans le monde du travail : quel est le rôle du médecin du travail ?

Le témoignage de Maud, cadre supérieur dans une grande entreprise et atteinte de schizophrénie, publié récemment par l’Express :  Moi, Maud F., cadre supérieur et schizophrène, a retenu notre attention et nous  lui répondons dans cet article pour préciser quel rôle peut jouer le médecin du travail ( il  est totalement absent de son témoignage) pour contribuer au maintien dans l’emploi d’un salarié porteur d’une pathologie psychiatrique. Les médecins du travail, les psychiatres, les médecins généralistes peuvent témoigner que de nombreuses personnes atteintes de schizophrénie assument une activité professionnelle. Il n’y a pas la schizophrénie mais des schizophrénies : les  formes qui répondent bien au traitement permettent d’exercer une activité professionnelle, un patient schizophrène peut travailler.

Qu’est ce que la schizophrénie ?
A qui le salarié doit-il confier qu’il est schizophrène ?
Quel est le rôle du médecin du travail dans le cas d’un salarié schizophrène ? 
Quelle est l’intérêt de la RQTH, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé  pour un salarié schizophrène ? 

Qu’est ce que la schizophrénie ?

La schizophrénie est une maladie mentale chronique qui ne guérit pas ( certaines formes s’améliorent vers 40-50 ans) : elle est marquée par des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres : c’est ainsi qu’une personne schizophrène peut avoir des comportements et des discours bizarres, parfois délirants,  des hallucinations ( elle entend des voix imaginaires, etc).

La schizophrénie, quelle que soit sa forme nécessite un traitement au long cours : seul le traitement suspend le symptôme (dans son témoignage, Maud évoque  » la Camisole chimique « ).
Le traitement de la schizophrénie repose sur la prise de neuroleptiques ( Zyprexa, Risperdal, Abilify, etc), il a beaucoup progressé :  mais les effets indésirables de certains  ( prise de poids, etc)  conduisent parfois les patients à les interrompre.
Les neuroleptiques retard tel que le Modecate ( administré en injectable toutes les 3 semaines) jouent un rôle majeur car ils ont permis d’améliorer l’observance thérapeutique.

Le diagnostic, y compris pour les psychiatres n’est pas toujours aisé, entre schizophrénie et bouffées délirantes isolées.
La classification de la CIM 10 propose une classification pour les schizophrénies :  schizophrénie (F20),  troubles schizotypiques (F21),  troubles délirants persistants (F22), troubles psychotiques aigus (F23) et troubles schizo-affectifs (F25).

La classification internationale DSM IV propose également des critères diagnostic pour la schizophrénie

Ludwig Fineltain, neuropsychiatre et expert près des tribunaux, donne cette définition de la schizophrénie  dans son glossaire édité en 2000 :

Schizophrénie (du grec shizein diviser et phrèn esprit). Psychose paradigmatique de la maladie mentale caractérisée par la discordance intrapsychique.

  • Schizophrénie productive ou positive. Les formes paranoïdes avec troubles du cours de la pensée, hallucinations, idées délirantes, désorganisation du comportement et agitation. Elles sont distinguées pour leur sensibilité aux neuroleptiques.

  • Schizophrénie déficitaire ou négative. Les formes hébéphréniques avec perte de l’élan vital, indifférence affective, déficit intellectuel et préoccupations délirantes intériorisées, autisme avec des affects détachés des effets extérieurs et repli sur soi autrement dit les formes autistiques déficitaires. Elles sont distinguées pour leur faible réponse aux neuroleptiques.

Le patient qui évoque sa pathologie  n’emploie pas toujours le terme de schizophrénie mais parle de phobie, de dépression, etc

Mais la forme de la schizophrénie importe peu,ce qui compte c’est sa sensibilité aux traitements neuroleptiques.

A qui le salarié doit-il confier qu’il est schizophrène ?

C’est bien normal de ne pas exposer sa pathologie, quelle qu’elle soit ( cancer, séropositivité, pathologie psychiatrique, etc) à son employeur ou à ses collègues de travail. Le collectif de travail peut être peut-être profondément destabilisé à l’annonce de cette pathologie.
Il est bien normal également de ne pas exposer les raisons de ses absences pour maladie
Le médecin qui rédige l’arrêt de travail ne porte aucune information à caractère médicale sur l’arrêt de travail. Certains assurés demandent au médecin traitant de réaliser l’arrêt de travail, et non au psychiatre, puisque le nom et la spécialité du médecin apparaissent sur l’arrêt de travail et peuvent alors orienter sur une pathologie psychiatrique.

Quel est le rôle du médecin du travail dans le cas d’un salarié schizophrène ?

Par contre, il nous semble essentiel d’informer le médecin du travail de la pathologie.

Le médecin du travail est soumis au secret médical et ne transmettra pas ces informations à l’employeur ou d’autres personnes de l’entreprise. Par contre, informé, le médecin du travail pourra assurer une forme de veille : en cas d’interruption du traitement il pourra décider d’une inaptitude temporaire afin de soustraire le salarié de l’entreprise pour qu’il prenne le temps de se traiter de nouveau. Présenter une bouffée délirante au travail est préjudiciable bien sûr pour l’avenir professionnel du salarié.

 » La Camisole chimique « dont parle Maud c’est effectivement la clé du maintien dans l’emploi.

Une pathologie équilibrée sous traitement, donc sans manifestation clinique visible, ne pose jamais de problème dans le monde professionnel.

Il en est de même pour toutes les pathologies : schizophrénie, épilepsie, etc
Un chauffeur poids lourd épileptique dont la pathologie est parfaitement contrôlée par le traitement et l’hygiène de vie peut exercer son activité professionnelle puisqu’il ne présente pas de crise comitiale, alors que l’on contre-indique formellement la conduite chez un chauffeur poids lourds qui présente des crises d’épilepsie.

En cas de réorganisation dans l’entreprise, le médecin du travail pourra porter une attention particulière à la personne atteinte de schizophrénie, qui pourrait ressentir du stress professionnel, être davantage destabilisée que ses collègues par ces changements d’organisation.

Le médecin du travail peut également demander un aménagement de poste de travail en accord avec le salarié ( appuyer une demande de télétravail, limiter la durée des missions à l’étranger ou les contre-indiquer transitoirement etc). Le médecin du travail peut également appuyer une demande d‘invalidité première catégorie, auprès du médecin conseil, pour un salarié schizophrène en difficultés s’il semble qu’un travail à temps partiel dans le cadre de l’invalidité serait mieux toléré…

Le médecin du travail n’a qu’un objectif : préserver la santé des salariés et favoriser leur maintien dans l’emploi.

Le médecin du travail peut  également informer de certains dispositifs :  par exemple  le réseau Télé psy qui permet de mettre en relation un salarié en mission à l’étranger avec un psychiatre en cas de trouble psychiatrique aigu.

Une personne schizophrène déclarée inapte à un poste de travail peut saisir l’inspecteur du travail pour contester cet avis d’inaptitude si elle le souhaite.

Quelle est l’intérêt de la RQTH, Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé  pour un salarié schizophrène ?

Non, brandir une reconnaissance de travailleur handicapé n’impose pas de  » sortir du bois  » ( témoignage de Maud)

 Un salarié n’a aucune obligation d’informer son employeur de sa RQTH. En tout cas, s’il accepte de remettre sa RQTH, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé au service des ressources humaines, il  n’a pas à fournir les raisons de cette RQTH : l’employeur déclarera ce salarié dans les travailleurs handicapés de l’entreprise ( La loi de 1987 oblige tout établissement de plus de 20 salariés à employer 6% de travailleurs handicapés et assimilés) : l’entreprise qui ne remplit pas cette obligation paye de lourdes pénalités. Elle bénéficie d’abattements de charges pour chaque personne reconnue travailleur handicapé. L’abattement de charges est censé compenser la moindre productivité que pourrait avoir une personne handicapée, du fait de son handicap.
La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé permet de solliciter éventuellement des aides financières pour aménager le poste de travail ( ce peut-être la prise en charge du financement d’une réduction du temps de travail, etc).  dans ce cas il est possible de solliciter un Sameth, Service d’aide au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés.

Un salarié n’est pas obligé d’informer son employeur dès l’embauche de sa RQTH, s’il pense que cela risque de lui porter préjudice, il peut l’en informer secondairement…

Le salarié reconnu travailleur handicapé bénéficie d’une surveillance médicale dite renforcée, c’est à dire que les visites médicales sont plus fréquentes avec le médecin du travail : elles seront l’occasion de faire le point sur les conditions de travail, l’état de santé, l’observance thérapeutique. Si le médecin constate que le traitement n’est plus suivi, il peut décider d’une inaptitude temporaire, c’est à dire que le salarié se rend chez le médecin traitant afin qu’il l’arrête pour reprendre le traitement et le suivi psychiatrique…

Tout salarié peut également demander à consulter le médecin du travail pour exposer ses problèmes de santé, ses difficultés pour exercer son activité professionnelle : il s’agit d’une visite médicale à la demande du salarié. cette visite donne lieu à la délivrance d’un certificat d’aptitude ( seule une visite médicale de pré reprise ne donne pas lieu à la délivrance d’un avis d’aptitude).

La schizophrénie mérite d’être destigmatisée comme le sont aujourd’hui la plupart des pathologies. Elle ne doit pas empêcher l’intégration du monde du travail y compris à des postes de haut niveau : de nombreux patients sont intellectuellement très brillants, le travail a des vertus thérapeutiques certaines. Mais une bonne coordination doit être instaurée entre le psychiatre, le médecin traitant et le médecin du travail : l’accompagnement permet le plus souvent de lever les contre-indications médicales. Le médecin du travail n’étant pas dans le parcours de soins, le psychiatre ne partage pas les informations médicales avec lui. Par contre le psychiatre peut remettre un courrier au salarié afin qu’il le remettre au médecin du travail et réciproquement. Seul le médecin du travail peut obtenir d’éventuels  aménagements du poste de travail : de nombreux médecins traitants continuent à remettre à leur patient un certificat médical à remettre à  leur employeur pour aménager leur poste de travail par exemple.  Or seules  les préconisations formulées par le  médecin du travail s’imposent à l’employeur..

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Il y a 2 commentaires sur cet article
  1. difficile de maintenir les schizophrènes au travail dans le monde du travail actuel :
    – organisation du travail maltraitante de par les modifications permanentes pour les patients porteurs de pathologies psychiatriques qui ont besoin de repères, de stabilité pour ne pas être trop fréquemment décompensés
    – performance au travail parfois diminuée sous thérapeutique qui ostracisent les patients par rapport au autres membres de l’équipe de travail

    bref nous sommes dans un monde du travail qui ne ménage pas les pathologies psychiatriques, et participe même à leur décompensation.
    Mais ce n’est pas limité aux seules pathologies psychiatriques : tout handicap qui a un retentissement sur le niveau de performance des travailleurs sur leur poste pousse les employeurs à les exclure.
    il n’y a qu’à regarder le faible niveau d’emploi des travailleurs handicapés en France et son évolution dans le temps…

  2. il est totalement faux d’écrire qu’un skizophrène ne peut pas guérir, demandez donc à certains psychiatre ou pédopsychiatre et vous aurez la réponse. il y a; j’en suis sur; des exemples de réussite de sorti de cette maladie, c’est a dire plus de prise de médicaments a base de neuroleptique avec état stable.avec évidence il y a souvent risque de rechute, sorte de fragilité, mais je trouve que assené cela noir sur blanc sur un site tel que le votre c’est coupé tout espoir de rémission (surtout pour les familles proches atteintes de cet maladie chronique).
    salutation

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